2000 Le Théâtre Ambulant Chopalovitch

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J’aime explorer des lieux différents et inhabituels tels les sites naturels, les ruines, les châteaux et places publiques. Leurs diversités m’ouvrent à la créativité et en user, est ce que je sais faire le mieux. J’aime y projeter des oeuvres que je prends plaisir à bricoler, à adapter et scénographier, le temps d’une épopée.

Là où vous venez nous voir, aficionados bohèmes de théâtre, le lieu où vous êtes, fait partie de l’aventure de votre déplacement. Là, vous trouvez un vieux mur lépreux, là une fontaine, là une sombre ruelle, là une vitrine d’antan, là le bord de rivière à deux pas du village… Soudain, surgit théâtral ou vécu : l’événement… ce quelque chose qui même s’il a été préparé, naît à l’instant, ici …    Mon rôle y est grand : imaginer, persévérer, projeter toujours un peu plus loin la voix du théâtre.

C’est à Quéaux, Luchapt, Sillars et Adriers que nous poursuivons cet été 2000 notre quête de l’Aventure.

AA107AA89Ainsi, ils arrivent un vendredi dans le petit village Serbe de Sillars, Quéaux, Luchapt ou Adriers… Ils arrêtent leur roulotte au pied de l’église. Ils défont  leurs malles et, à la nuit tombée, des chants de femmes accompagnés de violon guident les badauds intrigués vers une histoire de théâtre et de guerre, de rêve et de réalité.

L’AUTEUR L’HISTOIRE : Lioubomir Simovitch est un auteur Serbe qui remporte sur scène un succès populaire considérable, ses œuvres sont saluées par la critique, tant pour leur contenu que pour leur poésie. Leur forme théâtrale est profondément originale et naturellement novatrice, c’est ce qui me séduit dés la première lecture du « Théâtre Ambulant Chopalovitch ».

AA90AA901AA1132LE SPECTACLE : Cette fiction se situe pendant la seconde guerre mondiale en 1940 dans un village Serbe occupé par l’armée allemande. Lorsque Vassili Chopalovitch et sa misérable troupe théâtrale arrive et s’installe pour une représentation, la présence de ces comédiens, alors que l’on est en guerre, provoque un tollé général tant chez les habitants que chez l’occupant qui se méfient de tous et de tout… « Vous croyez que c’est le moment de vous amuser à faire du théâtre » s’est exclamée une villageoise exaspérée de voir combien les nouveaux arrivants étaient aveugles à la réalité qui les entourait. Aveugles ou trop conscients…

arestation 2arestation 4arestation 5arestationEt le spectateur dans tout cela ?  Il bascule au fil des rues dans une autre réalité, ou dans le théâtre, ou… Bref, il ne sait plus où il est, à Sillars, Quéaux, Luchapt, Adriers, en Serbie ou ailleurs. Il ne distingue plus qui sont les véritables acteurs, quels sont les vrais visages, où sont les bourreaux, où sont les coupables, où sont les délateurs et où sont les résistants, qui ment et qui est honnête. Comme Philippe, l’un des ambigus protagonistes de l’intrigue, le spectateur cherche des repères parmi ces personnages trop humains.

Le spectacle se décline en tableaux, les éclairages changent et modulent l’atmosphère, des scènes sans tréteaux sont improvisées au coin des rues. Déstabilisé par l’originalité de la mise en scène, le spectateur est quelque peu réticent au début lorsque les villageoises serbes le hèlent,  mais il entre vite dans le jeu, captivé par le cours de l’histoire. Est-il spectateur ou témoin, ou bien les deux ?

AA73 AA75 AA77 AA91À partir de là, les passions se mettent à nu. Le spectateur n’est plus confronté au théâtre dans le théâtre, mais au théâtre de la vie, celui que tout homme provoque en lui et autour de lui, face à des situations anormales, où les habitants résistent ou collaborent. Cette histoire traduit la psychose créée par la guerre, la peur , la domination, la soumission, la différence, la normalité,  l’anormalité, les non dits, les rumeurs, les règlements de comptes, les femmes tondues… Après la découverte du texte, certaines comédiennes sollicitées pour un rôle me manifestent leurs doutes et craintes, elles se retirent du projet, cette fiction les effraie. Ce sujet 55 ans plus tard reste sensible et tabou. Je fais lire cette pièce à des habitants d’un de nos villages. La première réaction est troublante, en effet on me déconseille de monter cette pièce. Ce qui se passait en Serbie, nous le vivions dans la France occupée, jusqu’au plus isolé de nos villages du Poitou, rien ne s’est effacé de la mémoire de ceux qui sont encore vivants. Je sors interpellé de ces réflexions et avis mais, plus déterminé que jamais à monter ce projet.

AA77Nous voulons nous adresser à un public demandeur, pas par coquetterie mais pour que chacun s’implique dans une aventure vécue ensemble et qui marque et change la vie locale. Il ne nous faut pas choisir ces villages au hasard : nous allons là où on souhaite nous voir, avec un désir manifesté… Il y a des lieux où les gens ont envie de nous rencontrer, de constater de visu ce qu’est le travail du théâtre, il y en a d’autres où il faut les forcer. Nous retenons cette année 2000, les premiers…  Quéaux, Luchapt, Sillard et Adriers.

Je réfléchis, comment embarquer le spectateur dans une ambiance distante de notre propre histoire, donner ici l’illusion d’un voyage situé en Serbie ? Comment transformer nos rues, nos places et façades de maisons du Poitou en village oriental ?

Je réfléchis comment éviter l’écueil trop banal d’un spectacle plaqué, d’un village à l’autre, pour une soirée, sur une population plus ou moins concernée… Comment occuper le cœur de ces villages, y répéter pour y jouer, de nuit, avec des décors et de la musique.

AA73Pour projeter la mise en scène dans ces villages, je les parcours un à un avec une question précise : si cela arrive ici, dans quels endroits se déroulent les faits ? Où se pose la carriole du théâtre ambulant avec ses comédiens ? Sur la place du village, au bord du lavoir, du plan d’eau ou au chevet de l’église ?  Où sont conduits les comédiens arrêtés par l’occupant ? Dans un commissariat, dans la cour d’école ou dans une prison improvisée ! Où est agressée Sophie l’héroïne ? Dans une rue sombre, une impasse, le long d’un vieux mur ou au bord de l’étang ! Où disparaissent la roulotte et ses comédiens dans leur départ ou leur fuite ? À la croisée des chemins ou des routes !

AA91Je détermine, au gré de l’intrigue les lieux qui verront déambuler les comédiens suivis des spectateurs. Le spectateur suivra l’action au fil des rues transfigurées où des scènes sans tréteaux seront improvisées et des sièges disposés comme au théâtre.

Les comédiens s’adaptent en répétitions de village en village à chaque lieu scénique.

Avec une équipe de bénévoles, dans des blocs imposants de polystyrène, nous taillons des immenses colonnes, des voûtes et arcades et même un mur avec une fenêtre à balcon à l’étage. Tout cela est ensuite toilé, enduit de matériaux, coloré ocre. Nous construisons aussi des grilles de prisons. Nous n’aurons plus qu’à juxtaposer ces éléments aux façades des maisons ou sur la place du village ou au bout de la rue. Métamorphosés, ces lieux feront entrer le spectateur dans une rue, sur la place de village avec arcades et colonnades, dans une prison avec ses grilles, sous le balcon d’une grande façade, ainsi, les lieux du village deviennent le théâtre de l’histoire ! Je me sens ainsi, un peu, manipulateur, metteur en scène caméléon d’un théâtre qui se calque et imprime des atmosphères Serbes d’un village à l’autre.

chantier carioleC’est l’ADECL l’association dynamique d’Entr’aide du canton de Lussac qui a transformé l’ancien corbillard de la commune de Quéaux (où j’ai vécu enfant) en une mythique roulotte de théâtre, vraie carriole de comédiens avec même une mini-scène amovible.  Ce corbillard, chariot sacral d’un autre temps, était tiré autrefois par un cheval de trait. Je  garde en mémoire mon premier gros chagrin d’enfant, mes premières larmes versées en suivant le corps de mon meilleur ami que l’on emportait au cimetière. Cette métamorphose d’un tel objet a probablement choqué certaines personnes, pour moi, j‘ai toujours une émotion particulière et voue un immense respect à cet objet qui, quelque soit son temps, reste porteur d’histoire.

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Les couleurs, matières et styles de vêtement orientaux guident Chantal David et Hélène Mourasse avec des assistantes à la création et confection de beaux costumes traditionnels et aussi des costumes fantaisistes des comédiens du Théâtre Ambulant.
S’évader un peu plus par la musique et les chants. C’est Daniel Périssat avec son violon qui nous guide et conduit à l’interprétation de ses compositions musicales inspirées des ambiances Serbes.

AA112Thomas Sillard entreprend un travail très intéressant de création de sons et d’effets sonores qu’il diffuse dans les lieux de l’action. Il créé des  atmosphères étranges et subtiles surgissant de partout.

Jean Philippe Villaret avec une équipe de jeunes assistants, Sylvère Bartoux, Emmanuel Rogeon, Rodolphe Moinet, au gré de l’intrigue colorisent les murs des villages, embrasent de jean philippeRodolpheAA111sylvèreflammes et d’explosions le lointain et glacent la nuit du froid de nos peurs. Certaines scènes sont aussi éclairées par les comédiens eux-mêmes avec des lampes torches.

Le GICCEP, lieu ressource du Montmorillonnais, assure le lien entre la troupe, les communes et les associations intéressées par une animation autour de l’événement.

Le Centre Dramatique Poitou-Charentes soutient cette démarche, c’est lui le responsable de gestion de ce projet des contrats et du suivi administratif.

Les quatre communes d’accueil participent à fond, fournissant l’électricité, les gradins, la main d’œuvre communale. Une telle aventure est le fruit de l’entente entre les membres de la troupe, les municipalités qui les accueillent mais aussi avec les soutiens bénévoles d’associations et de particuliers.

AA1090Voilà écrit comment, 25 comédiens et techniciens, pauvres comédiens sans tréteaux, poussent leur roulotte dans les rues de Quéaux, Luchapt et Sillars. Ces bourgades  au visage d’un petit village serbe, ont la visite de comédiens fantasques, déconnectés semble-t-il de la réalité, mais les apparences peuvent parfois être trompeuses et le théâtre dépasser la fiction pour devenir la réalité… C’est l’histoire de l’homme qui se poursuit…

À Adriers, pas de déambulation, les spectateurs suivent l’action dans les gradins sur fond de plan d’eau.

Lieu unique, mais quel lieu ! Les décors de la pièce sont en effet plantés autour du plan d’eau. Et, comme j’aimais le faire au Théâtre de Verdure de l’Isle Jourdain il y a dix chantier passerelleans, je choisis d’utiliser l’eau comme chemin symbolique. Une passerelle est installée par la troupe et les gens du village sur l’étang communal. Et, c’est par là que la roulotte des comédiens ambulants, héros de la pièce, aborde le village troublé par la guerre, face au public groupé dans des gradins, sous la lumière concoctée par Jean-Philippe Villaret.

« Cette pièce est un conte moderne. J’essaie de la traiter avec

décor 1poésie, en proposant de belles et fortes images qui mettent en valeur le lieu. C’est le rôle des troupes comme la nôtre qui ont choisi de faire découvrir le théâtre en allant dans des localités où personne, sinon des clubs paroissiaux oubliés, n’a jamais joué…  Ici, au bord de ce plan d’eau, très apprécié des habitants du coin, (et pas seulement des pécheurs), j’aidû revoir toute la mise en scène afin de l’adapter à ce lieu à la fois fixe et ouvert… tout au fond, en décor du décor, les spectateurs distinguent les toits du village et le clocher de l’église.

decor 2montage décor Chopalovi-2Les bénévoles locaux très actifs et coopérants, assurent la survie de cette bande de comédiens et de techniciens. Une partie de la troupe vit en caravane depuis le début de l’expérience et de l’été, tous sont nourris dans une salle proche et le personnel communal donne un coup de main technique.

Élizabeth ma fille me permet d’extraire de son carnet de bord, quelques notes de son aventure vécue dans le rôle de Sophie du « Théâtre Ambulant Chopalovitch ».

Tout comme les comédiens du « Théâtre Ambulant Chopalovitch », certains acteurs et les techniciens vivaient la vie de bohème, en caravane allant de villages en villages pour donner les représentations. À la différence de la pièce, l’accueil des habitants était tout autre, ils nous attendaient avec le souci de nous accueillir le mieux possible. Néanmoins, lorsqu’ils nous voyaient arriver en caravane, avec une carriole, nous ressentions à priori une réticence, curiosité. Interpellés, les habitants nous observaient. Nous devions, comme dans la fiction, nous ouvrir à la communication, à l’échange et créer le dialogue. Finalement, notre venue se passait superbement bien. Nous en ressortions plus sûrs de nous et enrichis de nos rapports avec les habitants. D’emblée, beaucoup n’étaient pas sensibilisés au théâtre et finalement, leur curiosité, leur intérêt s’ouvraient pour partager avec nous ces moments privilégiés. Ils nous remerciaient de leur avoir ouvert un autre regard sur le théâtre, c’était  le pus beau compliment reçu et l’élan donné pour continuer l’aventure.

christianle broyeur 4le stephanemarie cla annettesophiefrançoisCette création a mobilisé près d’une centaine de personnes : comédiens, techniciens, professionnels du spectacle, associations d’accueil… Nous n’arrivions pas d’aventure dans ces villages. Préalablement, jean marcElisabeth et jeaninemarie odilela population et des groupes associatifs partenaires du projet s’étaient constitués pour nous accueillir. Ils avaient le rôle de sensibiliser, préparer la population à notre arrivée, informer, diffuser la publicité, accueillir le public et faire nos repas. Ils ont préparé une exposition qui parlait du sujet et du thème de la pièce, des documents sur l’auteur, de documents de l’époque, des photos de notre travail de répétitions et de création. Tout cela était fait avec passion et compétence par les habitants. Ils avaient assisté aux répétitions publiques et à chaque fin de spectacle, ils venaient échanger leurs impressions et questions. Ils discutaient de la pièce mais aussi de leur propre expérience et vécu en ce temps de guerre… Ils étaient curieux de notre monde du spectacle qu’ils découvraient. Certains venaient nous redécouvrir dans les autres lieux de représentation… La presse, la radio nous encensaient…

AA76« Extrait de quelques notes de mon investissement personnel «  (Elizabeth Sillard)

Le metteur en scène (mon père) me demande de lire la pièce. À la première lecture je tombe sous le charme de cette œuvre poétique, dure et complexe mais pleine d’humanité. Il me propose le rôle de « Sophie » ! J’accepte d’emblée, c’est le personnage qui m’a captivé à la lecture.…

Le travail est dur et long. Quelque chose me bloque, j’éprouve des difficultés à me retrouver dans le personnage, j‘ai du mal à éprouver les intentions, le caractère de  « Sophie » l’héroïne. Je stagne de longs moments, je me sens déstabilisée, cela me démotive… Le déclic arrive lorsque je travaille avec opiniâtreté la scène avec Jojo, « le Broyeur ». Pour Sophie, c’est le moment le plus intense, le plus éprouvant, mais c’est aussi la clé qui va me dévoiler le fond du personnage. Le metteur en scène me fait travailler longuement sur le sens, la maîtrise et la précision des mots. Mes partenaires travaillent d’arrache pied, Jojo Perrin est précis et exigeant, François Périssat plus fou et illuminé que Philippe, Vassili interprété par Christian Lejeune est troublant de justesse, Alain Goupil, en Blagoyé amoureux, me distrait, Annette Laverret est cabotine à souhait, Marie-Claude, Marie-Odile, Elisabeth… sont toutes investies faisant avancer ce travail de répétitions dans l’enthousiasme. C’est grisant de sentir naître en soit un personnage, je pense Sophie, je la ressens, je suis son univers, son histoire, son caractère. Je comprends qu’il me faut maîtriser mes réactions, gommer ce qui dans mon jeu est théâtral et superficiel… Puiser dans l’énergie de l’héroïne, légère et grave, faire surgir l’émotion, ce sont les pas supplémentaires que Michel Geslin me fait franchir, intervenant au bon moment de mon travail. Enfin, s’éloignent mes réflexes d’auto-jugement, de censure, je me débarrassais peu à peu du masque dont j’imaginais me protéger.

Pendant ces quelques mois de répétitions et de représentations, je suis comme parachutée dans un autre univers : celui des répétitions, des montages et des démontages, des réglages techniques, des décors et le soir, des spectacles. C’est intense, épuisant,  mais notre jeune équipe sait garder des réserves pour cultiver au mieux le festif et la convivialité !

cariole 2Autour de toutes choses sérieuses se tissent des anecdotes…

Les spectacles en plein air sont dépendants du temps. Quand il pleut, nous ne pouvons pas donner nos représentations, cet été 2000 était caniculaire et orageux, le temps était instable. Nous n’avons annulé qu’une seule représentation, mais  d’autres sont passées de justesse sous la pluie ou le froid et, dans ces conditions, le public n’était pas toujours très attentif et nous avions à déployer un surcroît d’énergie.

Avant la représentation, il est important de se concentrer pour évacuer notre stress… chacun à sa manière !  Idée géniale ! Le parti pris du metteur en scène, était d’accueillir le spectateur directement à son arrivée dans nos coulisses préparées à cet effet ! Et là, au milieu de ce curieux spectateur de notre maquillage, habillage (oui, oui !), on était censé enfiler la peau de notre personnage !!! C’en était fichu d’une concentration efficace surtout lorsque dans cette transfiguration « spectaculaire »,  on avait comme voyeur, une connaissance un ami ou un familier ! À l’heure des trois coups, le violoniste nous donnait le « La », c’était parti pour le premier chant et nous embarquions (voir tirions !) le spectateur qui devait nous suivre dans les rues du village jusqu’au premier espace scénique qui nous attendait.  

Dans le dernier village au bord de l ‘étang à  Adriers, il n’y avait pas de déambulation. Pour la scène où dans le rôle de Sophie je me fais agresser par le Broyeur, je sors réellement des roseaux et de l’eau de l’étang. Or même en plein mois d’août, dans un étang, à minuit, l’eau est froide et il y a également plein de petites bêtes, dont des crapauds et des grenouilles. J’ai une véritable phobie de tout cela et chaque soirée, je suis terrorisée attendant dans cette eau hostile le moment d’être en scène, maudissant celui qui me fait faire cela !  Avant d’être éclairée et d’être à vue du public, dans cette scène, j’attends dans l’eau, à ce moment là. Je dois être très pâle redoutant qu’une de ces bêtes s’approche de moi, ce qui arrive ! Le plus dur est que je dois apparaître très heureuse dans l’eau, sortant des roseaux et envoyant des gerbes d’eau, heureuse d’être comme en plénitude dans mon élément naturel !!!… Les techniciens et le Broyeur qui connaissent ma phobie, rient de me voir sautiller et danser dans cette eau sombre, mes pieds s’enfonçant dans la boue gluante qui me passe à travers les orteils, à ma grande frayeur !  Cette scène est éclairée par des lampes torches puissantes, ce qui signifie qu’éblouie,  je vois très peu de choses, à peine mon partenaire et pas du tout le public autour de moi.

Dans les autres villages, cette même scène se fait soit dans une impasse, au coin d’une rue où contre un vieux mur isolé. Le même type d’éclairage m’éblouit et je ne vois pas et ne sais pas où et comment sont disposés les spectateurs, que je sens très proches de moi. Souvent, il n’y a pas suffisamment de place assise pour tous ces spectateurs aussi, beaucoup sont assis parterre, très très proches de moi ! Il m’arrive de tomber sur un spectateur, ou tout proche lorsque le Broyeur me maltraite et me bouscule. Cette scène du Broyeur est troublante et éprouvante, elle est suivie d’une scène encore plus effrayante où, lapidée par des femmes du village, je suis tondue. Je sors de cette scène, tremblante, le visage mouillé d’émotion et de larmes,  épuisée. J’ai juste le temps de me changer pour la scène finale où je dois redevenir une « Sophie » surmontant tous ses drames et pleine énergie ! En opposition à ces scènes fortes, des moments légers me font danser et chanter, voir chahuter inconsciente avec Blagoyé, cabotiner avec Elisabeth, protéger de sa fragilité Philippe… Quel chemin parcouru pour apprendre, accepter, se lâcher à jouer jusqu’à prendre autant de plaisir qu’en donner!  Les réactions des proches spectateurs sur mon personnage pendant ces scènes sont souvent accompagnées de chuchotements, soit les personnes ont peur, d’autres commentent la violence ou l’odeur de mon bouquet d’herbes odorantes, mais aussi, certains m’avouent avoir voulu se lever pour m’aider, voir pour interrompre la scène de la tonte tant elle est effrayante de réalisme…

 

philippe murPardonnez mon didactisme si je vous rappelle ce texte d’ Ariane Mnouchkine pour moi répondant aux raisons, sens et objectifs d’une telle aventure théâtrale « Eh bien, c’est un atelier où l’on fourbit les outils adéquats pour observer le monde, ses différences et ses différents, où l’on fabrique les bons instruments pour disséquer ses passions, mesurer ses tourments, analyser ses stratégies, remonter des symptômes aux causes, prévoir et annoncer les conséquences des mauvais choix… Il sert au progrès, à la liberté, à l’égalité, à la lutte contre l’ignorance, contre la tétanie de la sensibilité, contre la paralysie de la compassion. » 

 

cariole passerelleDessinez-nous une roulotte…      Poème de Rémy Moreau

Le clocher a perdu sa mine altière

Le feu des projecteurs brûlant dans la nuit

Avait embrasé sa flèche de lumière

Beau feu d’artifice du soleil de minuit.

 

La roulotte n’est plus sur la passerelle,

Le décor évanoui du théâtre ambulant

A laissé sa place au vol de l’hirondelle

Effleurant de ses ailes, les eaux en volant.

 

marie O AlainBlagoyé a-t-il vidé toutes les bouteilles

Ou les a-t-il seulement jetées à la mer ?

Philippe a-t-il conquis monts et merveilles,

Changé l’épée de bois pour une épée de fer ?

 

Visage de Pierrot blanc, toujours tourmenté,

philippePauvre prisonnier des mots pour rester caché.

Evanescent fantôme d’un monde hanté.

A-t-il toujours sa mine de papier mâché ?

 

Le Broyeur a perdu sa tête de bourreau.

En quel pâturage ou dans quelle vallée,le broyeur

Dans quel proche paradis d’un monde nouveau

Cueille-t-il à présent, le thym ou l’azalée ?

 

AA105A la tête de sa troupe hésitante,

Vassili réunit-il la grande foule ?

Apprivoisant sa flamme étincelante

De l’acteur heureux a-t-il gardé le moule ?

 

AA1070Et toi frêle Sophie, surgissant des roseaux,

Fille victime de l’inquiétante nuit,

Es-tu prisonnière dans les dormantes eaux,

Cachant un satyre que le bonheur fuit ?

 

AA74Es-tu reine dans quelque archipel lointain ?

Ta couronne est-elle garnie d’étoiles ?

Quelle embarcation, guidée par ta main

Du souffle de Dieu voit se gonfler les voiles ?

 

technique éclairageEt toi Jean-Philippe, Thomas ou Emmanuel

Funambules du théâtre de lumière

Toi Rodolphe, toi Edouard et toi Lionel

Des représentations est-ce la dernière ?

 

AA72Étant toujours présents, bien que n’étant plus là

Marchands de rêve de nos soirées tranquilles,

De vos musiques vous avez donné le la

Avant de partir pour la rumeur des villes.

 

cariole départJean Marie dessine nous une roulotte

Les bruits des roues résonnent dans nos têtes.

Magicien somptueux, tire de ta hotte

Les belles images de nos jours de fête.

 

Avec toi nous avons fait provision de mots

Les mots qui soulagent, les mots de la passion,

AA109Paroles envolées, esclaves des mots,

Ceux de la liberté et de la compassion.

 

Cette belle moisson, nous la gardons pour nous

Provision utile des jours de disette

Nous sommes presque sûrs de retourner vers vous

Pour un bonheur récolter l’ultime miette.

 

assisLe clocher retrouvera sa lueur dans l’eau,

Et se souvenant du feu dans la nuit,

La roulotte prendra sa place près du roseau

Seule dans l’obscurité, sans faire de bruit.

Rémy Moreau d’ Adriers

Publication de La Maisonnée – Chez Tony-86430 « Le Théâtre du Lavoir à Adriers » 

salut 4salut 3salut 2salut 1Le mot des maires après notre passage

QUEAUX : Après avoir accueilli, il y a quelques années, Jean Marie Sillard et sa troupe de bénévoles avec la pièce « Le Lavoir », nous avons répondu sans hésiter à la proposition de cette nouvelle aventure au cours de l’été 2000.

Outre la qualité du spectacle, lié au jeu des acteurs, la mise en scène pensée par Jean Marie Sillard a permis de mettre en valeur de façon originale le centre du village, de l’église au lavoir.

Les bénévoles qui ont participé à ce projet et les spectateurs présents garderont une trace particulière de ces quelques soirées du début de l’été à Quéaux.

public comédiensJ’ai particulièrement apprécié, et je les remercie, la qualité du jeu des acteurs, la mise en scène particulière et le fait que cette initiative se déroule sur plusieurs communes, ce qui a favorisé des échanges riches avec les habitants de Luchapt, Sillars et Adriers.

J’espère que les acteurs bénévoles et Jean Marie Sillard proposeront l’an prochain une nouvelle aventure dans le Montmorillonnais.

 

LUCHAPT : Luchapt a accueilli la troupe de théâtre de Jean Marie Sillard, initiateur de l’itinérance culturelle en pays Montmorillonnais.

Cette action permit avant tout la rencontre entre les bénévoles locaux et la mairie d’une part et l’ensemble de la troupe d’autre part. Cela créa des liens nouveaux entre ces diverses personnes. Pendant une semaine, le centre du bourg a connu en toute convivialité, une activité et une animation qu’il ne connaissait plus depuis longtemps. La vie se poursuivit aussi la nuit avec la mise au point de l’éclairage et les répétitions de la troupe.

Les Luchaptais ont dû s’adapter à ces petits changements qui n’ont que peu perturbé leur vie.

Puis vinrent les instants magiques avec les représentations où les acteurs entraînant les spectateurs à chacune des séances, sur trois endroits de la place, ont su faire partager leur passion, leur talent et la philosophie de la pièce. La faculté d’adaptation du jeu des acteurs sur chacun des sites a été remarquable et ces acteurs bénévoles, sous la houlette de Jean Marie Sillard, ont donné du bonheur à un village dont la place centrale fut transformée.

 

SILLARS : « Le théâtre Ambulant Chopalovitch » installé au cœur de notre village nous a permis de vivre une expérience unique, forte en émotions.

Il fut l’occasion de rencontres riches et multiples : échanges quotidiens entre l’équipe technique, les habitants du bourg, les bénévoles de la commune préparant la cuisine, donnant un coup de main à l’installation des décors, des stands, échanges durant les répétitions et lors du buffet d’après spectacles entre les comédiens et les spectateurs.

La mise en scène, les décors, les éclairages, le son firent de notre bourg, lors des quatre représentations, un lieu magique.

Ce théâtre qui déambule dans nos campagnes, quelle belle aventure culturelle à renouveler !

 

ADRIERS : Quand Jean Marie Sillard a proposé à la commune d’accueillir le Théâtre du Lavoir, nous n’avons pas hésité car nous rêvions d’une animation culturelle pour l’été autour du plan d’eau d’Adriers.

L’engagement financier a certes dépassé les prévisions (contrôle des gradins !) L’investissement de 30 bénévoles à certes été important, mais en compensation, quelle satisfaction d’avoir partagé et fait partager à 900 personnes dont près de 200 d’Adriers, un grand bonheur et des émotions fortes.

Pour longtemps encore, le plan d’eau et le clocher de l’église illuminé resteront liés.

Merci  à Jean Marie et  à sa troupe, et peut-être à une autre fois…

 

Photos : Michel Geslin – Jean-Jacques Godfroid – Michel Mourasse

 

Cette vidéo présentée en deux parties est la captation complète de Ydire Saidi du spectacle « Le Théâtre Ambulant Chopalovitch »   interprétée en plein air et en direct lors d’une soirée d’Août 2000 au plan d’eau de Adriers.

C’est une trace, c’est la survivance de l’éphémère instant théâtral, c’est le fil tendu entre le fragile acteur et l’imprévisible spectateur. C’est une œuvre, un texte une histoire qui relient la nature, le ciel et l’eau aux hommes…